"En pratique, cela veut dire disposer d'une asurance-vie suffisante, avoir préparé sa succession, fait un testament approprié et facile à retrouver. Cela veut dire aussi avoir pris ou prescrit les dispositions nécessaires concernant les obsèques et le choix de la sépulture. Beaucoup achètent d'avance leur cercueil et une concession au cimetière. D'autres optent pour l'incinération ou font don de leurs restes à la science médicale.
Ces mesures pratiques ne représentent qu'une partie de notre préparation au seul événement dont nous sommes absolument certains. Elles assurent la tranquilité d'esprit des survivants, mais ce n'est qu'en libérant sa conscience que l'on peut trouver la paix de l'âme qui permet à chacun d'affronter la mort avec sérénité.
À travers les âges, aucune exhortation ne s'est révélée plus salutaire que celle formulée par Sophocle, il y a 2 600 ans:"Que tout homme, dans sa fragilité humaine, songe à son dernier jour et que nul ne se prévale de son bonheur avant de voir la vie, à sa mort, comme un souvenir sans douleur".
C'est là en quelque sorte une invitation à vivre continuellement de manière que les seuls sentiments douloureux qu'on laissera après soi soient des sentiments d'affliction, dont on dit qu'ils sont le prix à payer pour avoir aimé quelqu'un qui meurt avant nous. Si les gens se conduisaient de cette façon, leur vie serait beaucoup plus féconde.
Le dicton qui nous conseille de vivre chaque jour comme si c'était le dernier passe souvent pour un encouragement à la sensualité. Mais s'il s'agissait vraiment du dernier, le gaspillerions-nous? Ou en profiterions-nous au meilleur sens du terme, pour rattraper le temps perdu? Ne l'emploierions-nous pas pour chercher la paix de l'esprit, pour guérir de vieilles blessures, pour rétablir des communications? Grâce à cette denrnière chance, n'essaierions-nous pas de quitter ce monde aussi irréprochables que possible?(...)
La nature humaine étant ce qu'elle est, peu d'entre nous se contenteraient d'un avis d'un jour, encore moins de dernière minute. Il serait plus réaliste pour nous de dire que toute "année" serait une bonne année pour mourir.
Des malades condamnés et informés qu'ils n'en avaient plus pour longtemps à vivre ont affirmé qu'il n'était pas si difficile de se préparer qu'ils s'y attendaient. Une des consolations pour les mourants de savoir que leur dernière heure approche est qu'ils ont ainsi le temps de mettre ordre à leurs affaires et de voir leur famille. "Je ne veux pas mourir rapidement, disait un médecin canadien, trop de choses n'auraient pas été dites".
(Revue de la Banque Royale du Canada", juin 1982)